La Chapelle

 

Si le Parc Floral de La Source est un lieu touristique, c’est aussi un espace privilégié pour mettre en scène l’art au sens large. Au détour de votre balade, vous découvrirez la Chapelle (près du numéro 3 de votre plan).

Bâtie à l’écart du château, blottie sous les arbres du coteau dominant la source du Loiret, la chapelle est l’un de ces petits secrets que cache le Parc, qui enchantent la promenade et éveillent la curiosité du visiteur.

Sous ses allures modestes, elle a, mine de rien, bien des choses à raconter, entre passé et présent, entre ombre et lumière, entre esthétique et méditation, entre patrimoine architectural et création contemporaine. Pour lever un coin du voile sur ses mystères, une petite halte s’impose, dans une féerie de couleurs et de soleil…

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Aussi loin qu’on s’en souvienne, il y a toujours eu une chapelle sur le domaine de La Source, depuis le petit oratoire installé au XIVe siècle par les moines bénédictins de l’abbaye de Micy, qui étaient alors propriétaires des sources du Loiret. Par la suite, au fil des siècles, les châtelains ont toujours disposé d’une chapelle privée qui représentait, sous l’Ancien Régime, une prérogative seigneuriale et témoignait de l’antiquité du fief. Et lorsque le seigneur de La Source, Pierre de Meulles, entreprend en 1630 de reconstruire l’ancien manoir pour en faire une noble demeure dont il confie les plans au célèbre architecte jésuite Martellange, il fait édifier à côté du château une nouvelle chapelle, de style classique et richement décorée. Ce bâtiment a conservé une place privilégiée dans la composition du château jusqu’au XIXe siècle.

La petite chapelle de style néo-gothique que nous pouvons voir aujourd’hui, avec ses baies en plein cintre, sa verrière quadrilobée au-dessus du porche et son clocheton ajouré, date de la fin du XIXe siècle : elle a été érigée par la dernière famille propriétaire du domaine de la Source, les Dreux-Boucard, qui étaient très attachés à ce lieu de méditation et de prière où se trouvait le caveau familial.

Désaffectée lors du rachat du domaine en décembre 1959 par la Ville d’Orléans, elle a momentanément retrouvé sa vocation première pendant les Floralies internationales d’Orléans, d’avril à octobre 1967 : tous les dimanches la messe y était dite, mais en plein air, sur un autel extérieur établi à cet effet au chevet du petit édifice. Puis le temps a passé, la chapelle a perdu tout caractère sacré ; elle a accueilli pendant une vingtaine d’années, jusqu’en 2017, les expositions estivales des « Peintres au jardin » organisées par la Corporation de la Saint-Fiacre. Et sa porte s’est refermée…

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En 2019, la Métropole d’Orléans, soucieuse de préserver ce bâtiment témoin de la longue histoire du parc et de lui redonner une âme, en a fait restaurer l’intérieur et a donné carte blanche à l’artiste Pierre Zanzucchi pour en habiller les verrières. Peintre, graveur, sculpteur, créateur de précieux livres d’artistes, cet artiste aux multiples talents se passionne aussi pour le travail du verre, dont il explore l’univers fascinant, à l’aune de sa sensibilité poétique. Revisitant l’art millénaire des maîtres-verriers, il a conçu et réalisé en 2005 pour la ville d’Olivet les remarquables vitraux de l’ancienne chapelle de l’Institution Sainte-Marie qui accueille aujourd’hui la Médiathèque. Poursuivant ses recherches dans ce domaine, il a imaginé de délicates « Demeures de lumière », singulières sculptures de verre dont le Musée du verre et de ses métiers de Dordives a eu la primeur en 2012.

Et lorsque la Métropole d’Orléans lui confie le projet des verrières de la chapelle du Parc Floral de la Source, c’est avec bonheur qu’il s’invite à nouveau dans le Loiret et retrouve le verre, cette « matière-lumière » qu’il n’a de cesse d’apprivoiser, dont inlassablement il module les vibrations, les échos, les reflets. Séduit d’emblée par l’esprit du lieu, par l’architecture intimiste du petit monument, par l’ambiance recueillie qui y règne, et par le merveilleux écrin de verdure du Parc, il se met à l’ouvrage. Croquis, aquarelles, ébauches : c’est d’abord par touches légères que le projet prend forme, au fil des rêveries du promeneur solitaire qui fait provision d’images et d’émotions dans les allées du Parc, au bord du Loiret, au milieu des fleurs, des feuilles et des branches. Le thème de la nature s’impose de lui-même : l’artiste imagine de délicats motifs végétaux pour enluminer de couleurs fraîches et gaies les dix verrières et la rosace, faisant ainsi entrer dans la chapelle toute la poésie du jardin, réalisant la fusion la plus harmonieuse qui soit entre l’extérieur et l’intérieur.

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Pour retranscrire ses émotions esthétiques et poétiques, pour les métamorphoser en formes et en couleurs, l’artiste a utilisé une technique contemporaine très originale : en rupture avec la tradition des bâtisseurs de cathédrales, il a voulu dégager le vitrail des contraintes techniques classiques, en le libérant du sertissage de plomb qui le cloisonne et l’alourdit. Cette audacieuse innovation permet de faire la part belle à la lumière, rien que la lumière, instable, vivante, échappant à toute pesanteur, démultipliée en une féerie de spectres colorés. Comme l’explique Pierre Zanzucchi : « Libérer le verre du plomb qui emprisonne la forme dessinée permet de reconquérir la lumière extérieure dans son intégralité, selon l’humeur du ciel. Libérer le verre de ses liens, c’est lui garder dans sa coupe son énergie première, la rigueur de l’arête vive, du tranchant irisé. »

Pour cette œuvre en liberté, cette œuvre toute personnelle qui renouvelle l’art du vitrail, l’artiste a donc pu laisser libre cours à son inspiration, utilisant, pour se livrer sans entraves aux mille jeux de la lumière, le verre transparent et le verre de couleur débarrassés du plomb. Ainsi se sont composées, verrière après verrière, des mosaïques comme accrochées au ciel, qui font joyeusement danser la lumière, au fil des heures du jour et des saisons, au gré du temps qu’il fait et du temps qui passe, au hasard des caprices du soleil et des nuages.

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Ainsi réenchantée, la chapelle invite au rêve et à la contemplation. Sous le plein cintre des verrières, sur la toile de fond du ciel et des arbres, des oiseaux s’envolent à tire d’aile, des corolles s’ouvrent au premier soleil, des feuilles bougent dans le vent, la source du Loiret miroite doucement. Ce pourrait être un matin de printemps dans le Parc.

Puis il suffit d’un rayon de soleil pour que la lumière chatoie dans le silence et pose sur le sol, sur les murs, des taches multicolores, des fragments d’arc-en-ciel, à la manière d’une lanterne magique sous nos yeux éblouis. Des jeux de lumière où s’entremêlent l’art et la nature et que l’on ne se lasse pas d’admirer. Des jeux de lumière qui ont redonné son âme et tout son charme à la petite chapelle oubliée.

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Cette création verrière originale est d’abord une œuvre picturale, dont la toile de fond est la vitre de verre incolore industriel, et dont la couleur-matière est le verre artisanal soufflé en plaques colorées.

C’est en peintre que l’artiste a travaillé longuement dans son atelier sur la richesse de la gamme chromatique de la lumière traversant le verre : il a dessiné directement sur les plaques de verre coloré, guidant à la main l’outil de coupe pour tracer des formes, captant les vibrations de la couleur. Puis il a poursuivi son travail in situ, dans la chapelle, pour la mise en place de ces motifs, en les posant en touches de lumière colorée sur la transparence du verre, comme pour composer un tableau. Et peu à peu, sous la main et le regard du peintre qui a inventé là un nouveau langage artistique, les baies romanes se sont animées d’une vie nouvelle.

Texte : Anne-Marie Royer-Pantin

Photos : Jean PUYO

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